Anthony Collins

« Du déisme à l’athéisme, la libre pensée d’Anthony Collins » par Pascal Taranto
Le présent travail se propose de relire Anthony Collins, un des plus fameux «déistes» et libres- penseurs, homme scandaleux à la vie exemplaire, à la lumière de ce que disaient de – et contre – lui ses adversaires théologiens (Clarke, Berkeley), et surtout, de ce qu’il disait lui-même. Il en ressort une image moins convenue du «déisme anglais», et qui oblige, en tout cas, à repenser cette catégorie obsolète, sauf à vouloir garder ce nom pour un philosophe qui ne parle jamais de Dieu que pour insinuer que son concept est vide de sens ou contradictoire, le dualisme eréationniste une hypothèse intenable, et le christianisme un simple produit du besoin anthropologique de croire. Entre Locke et Berkeley, entre Bayle, Spinoza et Hume, il y a eu un moment collinien : celui d’une raison critique, radicale, d’un athéisme certes encore fragile, réactif d’abord, mais déjà moderne en ce qu’il vise l’après-Dieu.
Dans l’idée que Bayle a pu donner au tournant du XVIIIe de l’athéisme vertueux, on a longtemps rechigné à voir autre chose qu’une figure provocante de la mythologie des Lumières en train de se constituer contre un christianisme en crise. La raison répugnait alors, et peut-être encore, à dissocier l’athée de la brute. Comment peut-on refuser la consolation du cœur et le repos de la pensée, si l’on n’est endurci et abruti par la pratique du vice ? Ce vieux préjugé, qui pousse soit à flétrir la vertu de l’athée, soit à le transformer en déiste malgré lui, ne rend pas justice à l’audace spéculative des penseurs en rupture de théologie, qu’un petit groupe d’apologètes post-newtoniens s’était pourtant donné mission de combattre dès le début des Lumières anglaises (les Boyle lecturers). Si l’historien moderne répugne souvent à supposer l’athéisme d’un philosophe «sérieux», parce que ses adversaires théologiens pouvaient être partiaux, faut-il toutefois ignorer leurs bonnes raisons, en prétextant de leurs mauvaises pensées ? On ne peut refuser l’hypothèse de «l’athéisme de système», s’il est possible, dans toute l’œuvre d’un philosophe, de montrer comment il s’emploie à démolir pièce par pièce les thèses du théisme.