

Pourquoi Montaigne est-il si important?
Écrivain, philosophe, moraliste et homme politique de la Renaissance, Michel Eyquem de Montaigne, dont la vie fut très aventureuse, est le fondateur de l’introspection intérieure, au travers d’un livre (mis à l’index par le Saint office en 1676), » les Essais « , qui a fortement influencé la culture occidentale. Montaigne dit que son livre se confond avec l’auteur: » qui touche l’un, touche l’autre ». Montaigne se dépeint lui-même, comme un sujet observé, sans artifice, pour révéler son « moi » dans son entière nudité, pour se comprendre et comprendre le monde. » chacun regarde devant soi, moi je regarde dedans moi « . Il laisse libre cours à ses pensées souvent imprégnées de pessimisme, telles qu’elles se présentent à lui. Son étonnement philosophique commence avec sa devise « Que sais-je ? ». Son influence sur la littérature française est très importante.
«C’est un homme qui pense véritablement, non pour les autres, mais pour lui-même, et qui fait l’inventaire de ses pensées, qui les pèse, qui les étire, qui les passe au feu de la critique, sans égards, sans respect. C’est quand on le suit qu’on saisit bien ce qu’il faut de force humaine pour douter . Douter est un travail de force, comme forger.» Alain, Propos Gallimard, 1920
La religion de Montaigne
La religion de Montaigne reste pour nous une énigme. Bien malin celui qui réussira à démêler ce qu’il croyait vraiment. Fut-il un bon catholique ou un athée masqué ?
Podcast de la chaîne « France Inter » en français de 4 min
Montaigne était-il un bon catholique ou un athée masqué?
« De nom et de baptême, il est chrétien; il va à la messe pour suivre la coutume, mais le christianisme ne joue aucun rôle dans sa vie intérieure; s’il a en lui laissé des traces, ce sont des habitudes de gestes et de langage. Montaigne n’est pas plus chrétien que Voltaire; il l’est beaucoup moins que Gide. » (André Maurois / 1885-1967)
Pour Montaigne, l’homme a la possibilité et le pouvoir de faire naître en lui la liberté de pensée
L’oeuvre de Montaigne est celle d’un sceptique qui veille à bannir les doctrines intangibles et les certitudes aveugles. Il s’attaque à tous les dogmatismes, qu’ils soient religieux ou philosophiques, ne figeant jamais son scepticisme, son doute méthodique sur des certitudes ou des absolus. En pleine guerre de religions, il affiche sa tolérance et son aversion pour les luttes fratricides entre catholiques et protestants, considérant que la complexité des situations ne peut se régler par l’opposition binaire.
L’historien de la libre pensée J.M. Robertson (A Short History of Freethought, 1957) considère Montaigne comme un déiste humaniste qui a rejeté de manière significative « la grande superstition de l’époque, la croyance en la sorcellerie ».
Dans » L’apologie de Raymond Sebond », Montaigne considère que l’homme ne peut spéculer sur sa nature et qu’il doit être dégagé des croyances et des préjugés qui l’accompagnent .
À la demande de son père, Montaigne a traduit le livre de mille pages du théologien espagnol Raimond Sebond sur la théologie naturelle. Selong Sebond, les affirmations religieuses avérées peuvent être prouvées par la logique scientifique. Dans l’essai le plus long de Montaigne « Apologie de Raimond Sebond », Montaigne contredit l’affirmation de Sebond, arguant que la religion ne peut être crue que par la foi: » C’est la foi seule qui embrasse vivement et certainement les hauts mystères de notre Religion » (II, 12, 694) « .
« La raison humaine, impuissante, humiliée, ravalée au rang de l’animal, ne saurait prouver ni l’existence de Dieu ni la vérité de la religion »
Pour caractériser son attitude, on parle de « fidéisme », doctrine faisant de la foi une grâce, un don gratuit de Dieu, sans le moindre rapport à la raison. L’avantage, c’est de laisser le champ libre à la raison pour examiner tout le reste, ce que Montaigne ne manque pas de faire avec une extrême audace, si bien que, de la religion, il ne subsiste plus que cette foi maintenue en dernière instance, envers et contre tout, quasi étrangère à la condition humaine. Dans l’« Apologie », Montaigne doute de tout, pour proclamer sa foi au bout du compte, comme si de rien n’était.
« L’apologie de Raymond Sebond » est donc un champ de bataille entre les tenants de la parfaite sincérité religieuse de Montaigne et ceux qui y découvrent des intentions cachées, un cheminement secret de l’incrédulité, voire un athéisme masqué.
Citations de Montaigne sur la religion et la mort
Sur l’invention de dieux
« L’homme est bien insensé. Il ne saurait forger un ciron, et forge des Dieux à douzaines. »(Essais, II, XII, Apologie de Raimond Sebond, p. 511 éd. Pléiade)
Sur les hallucinations miraculeuses
« Il est vraisemblable que le principal crédit des miracles, des visions, des enchantements et de tels effets extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination agissant principalement contre les âmes du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la créance qu’ils pensent voir ce qu’ils ne voient pas. » (Essais, 1.21)
Sur la misogynie
» Les femmes ont raison de se rebeller contre les lois parce que nous les avons faites sans elles ”
Sur la crédulité religieuse
» C’est aux chrétiens une occasion de croire, que de rencontrer une chose incroyable ”
» Combien de choses nous ont servi hier d’articles de foi, qui aujourd’hui nous sont des fables ? «
Sur le dédain religieux de la vie terrestre
» Notre religion n’a point eu de plus assuré fondement humain que le mépris de la vie ”
Sur la mort
» Tous les jours vont à la mort, le dernier y arrive «
» Ce n’est pas la mort que je crains, c’est de mourir ”
Sur la contradiction « Dieu a un plan pour tout le monde » vs « le libre arbitre »
« Sur quel fondement de leur justice peuvent les dieux reconnaître et récompenser à l’homme, après sa mort, ses actions bonnes et vertueuses, puisque ce sont eux-mêmes qui les ont acheminées et produites en lui ? Et pourquoi s’offensent-ils et vengent sur lui les vicieuses, puisqu’ils l’ont eux-mêmes produit en cette condition fautière et que, d’un seul clin de leur volonté, ils le peuvent empêcher de faillir ? » (Essais, 2.12)
Sur la pudibonderie
» Si on cache une région du corps, c’est pour mieux attirer l’attention sur elle ”
“ Qu’a fait aux hommes l’acte génital qui est si naturel, si nécessaire et si légitime pour que nous n’osions pas en parler sans honte? ”
Sur la souffrance
» Qui craint de souffrir, il souffre déjà ce qu’il craint «
Sur la religion héréditaire par quasi obligation
» Nous sommes Chrestiens à mesme tiltre que nous sommes Perigordins ou Alemans. (II, 12 : 466) «
Autres
» Le monde n’est qu’une branloire pérenne”
Montaigne et le concept de "conviction héréditaire"
« Nous sommes Chrétiens à même titre que nous sommes ou Périgourdins ou Allemands »
Les religions se transmettent par l’autorité de la coutume, par les superstitions qui s’attachent à ce qu’elles promettent ou ce dont elles menacent.
« Tout cela c’est un signe très évident que nous ne recevons notre religion qu’à notre façon et par nos mains, et non autrement que comme les autres religions se reçoivent. Nous nous sommes rencontrés au pays, où elle était en usage, ou nous regardons son ancienneté, ou l’autorité des hommes qui l’ont maintenue, ou craignons les menaces qu’elle attache aux mécréants, ou suivons ses promesses. Ces considérations-là doivent être employées à notre créance, mais comme subsidiaires : ce sont liaisons humaines. Une autre région, d’autres témoins, pareilles promesses et menaces, nous pourraient imprimer par même voie une créance contraire. / Nous sommes Chrétiens à même titre que nous sommes ou Périgourdins ou Allemands »
(Montaigne Essais II, 12, 700)
Si vos parents sont chrétiens, vous allez croire que …
… le christianisme est la vérité.
Si vos parents sont juifs, vous allez croire que …
… le judaïsme est la vérité.
Si vos parents sont musulmans, vous allez croire que …
… l’islam est la vérité.
La foi ne concerne pas la réalité, elle concerne la conformité dans un groupe social et un endoctrinement réussi. Il s’agit juste d’un hasard de naissance, de parents et de géographie.
Si vos parents sont athées, vous allez croire que …
… l’athéisme est la vérité.
A la différence que:
L’athéisme n’est pas une croyance, c’est une absence de croyance.
Ce n’est pas une religion. C’est l’absence de religion.
C’est tout simplement une conviction, que rien ne démontre l’existence d’un quelconque dieu.
Vidéos
Arlette Jouanna – Montaigne
A l’occasion des 20èmes rendez-vous de l’Histoire à Blois, rencontre avec Arlette Jouanna autour de son ouvrage « Montaigne » aux éditions Gallimard.
Vidéo You Tube de la chaîne « Librairie Mollat » en français de 9 min
Sources:
» L’Apologie de Raymond Sebond et la religion de Montaigne » article par Henri Weber
» La pensée religieuse de Montaigne » compte-rendu par Maturin Dréano
» Montaigne – L’appel à la raison contre la barbarie des religions » par Arlette Jouanna Le point
» D’une façon laïque, non clericale, mais toujours très religieuse » extrait du livre « La parole de Montaigne » par Jean Balsamo
» Essais/livre II » par Montaigne sont en accès libre intégral sur Wikisource
» Citations de Montaigne » Athena
» Michel de Montaigne » Wikipedia